La caméra glisse sur l'eau du port de Lisbonne. Une lumière douce, nuancée, éclaire le paysage ; maisons et bateaux défilent lentement.
Une voix au ton mélodieux se superpose aux images. C'est celle de João de Deus, le héros de l'histoire. Calme, détaché, ironique, il décrit minutieusement l'état de santé de son corps : des petites douleurs aux bourses, la présence de punaises sur la peau. La caméra quitte la ville et plonge dans le trouble infini de l'eau. Ensuite elle nous conduit à la maison jaune, une pension du vieux quartier de la ville. Ici João mène une vie pauvre, solitaire. A ses côtés les autres locataires ; un vieux retraité, Mimi, jeune prostituée, la fille de la patronne aux allures séduisantes, la logeuse, au visage sévère, qui prône la propreté physique et morale. Un monde d'exclus que Monteiro décrit avec sarcasme, sans complaisance.
João vit sans enthousiasme entre un bar et des déambulations solitaires. Parfois il a des sursauts de passion. Pour le football, ou les femmes. Mais il se laisse emporter par le désir d'une manière sordide. Pour Monteiro, la perversité se cache dans tout être humain. Boire l'eau mousseuse du bain de la fille de la patronne et y dénicher un poil peut être alors un acte d'amour ; comme lui offrir une fleur après son concert ou la séduire après son refus.
Monteiro filme chaque scène de la façon la plus simple, toujours de face, le regard immobile. De longs plans permettent d'observer tous les détails. Lorsque João prend les médicaments, il dévisse la bouteille, dissoud la poudre, boit une cuillerée de sirop. Gestes simples, anodins, où peut se cacher la métaphore.
Parfois il se crée une attente déroutante. Pendant que la voix-off de la logeuse menace Mimi d'expulsion, João est étendu sur le lit, immobile, le visage caché par le chevet. On pourrait le croire concerné par la discussion. Seulement plus tard on comprend qu'il est tout simplement concentré sur le match de football transmis à la radio.
Après avoir abusé de la fille de la logeuse, João quitte la maison. On assiste à une superbe scène de théâtre. La mère outragée crie à la fenêtre. Des volets s'ouvrent, d'autres femmes sortent, leurs voix retentissent. On oublie vite les motifs de la discussion. La conversation dégénère, volent les insultes.
On retrouve João sur un banc, démuni de tout, même d'un ticket pour la soupe populaire. Le film, jusqu'à maintenant portrait minutieux et réaliste de la monotonie quotidienne, bascule dans le fantastique. João quitte ses guenilles, se rase, se douche, s'habille en officier de Cavalerie. Amené au poste de police, il est interrogé par le commissaire ; ils parlent de la soupe de haricots, de Hölderlin, d'un polar, d'une marche contre l'Assemblée nationale. Un vrai condensé de nonsense et de sérieux. L'ironie se mêle au drame comme dans la vie. João est amené à l'asile.
Ici, Monteiro se délecte à nouveau à mélanger les genres. Quelques plans saisissants, des têtes effarées, le lourd silence qui pèse dans la cour, voilà la dure réalité de la vie d'un asile.
Maurizio Borgese
Publicado na revista Jeune Cinéma nº207, de Abril/ Maio 1991